L’interdiction de la mouhâqalah et de la mouzâbanah

باب مَا جَاءَ فِى النَّهْىِ عَنِ الْمُحَاقَلَةِ وَالْمُزَابَنَةِ

L’interdiction de la mouhâqalah et de la mouzâbanah

عَنْ أَبِى هُرَيْرَةَ قَالَ نَهَى رَسُولُ اللَّهِ -صلى الله عليه وسلم- عَنِ الْمُحَاقَلَةِ وَالْمُزَابَنَةِ

قَالَ أَبُو عِيسَى حَدِيثُ أَبِى هُرَيْرَةَ حَدِيثٌ حَسَنٌ صَحِيحٌ وَالْمُحَاقَلَةُ بَيْعُ الزَّرْعِ بِالْحِنْطَةِ وَالْمُزَابَنَةُ بَيْعُ الثَّمَرِ عَلَى رُءُوسِ النَّخْلِ بِالتَّمْرِ

Traduction explicative

Abou Houreïrah (radhia Allâhou anhou) dit que le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) a interdit la mouhâqalah et la mouzâbanah.

L’Imâm Tirmidhi (rahimahoullâh) écrit que la mouhâqalah, c’est l’échange de blé qui n’a pas encore été récolté contre du blé moissonné. Et la mouzâbanah, c’est l’échange de dattes qui se trouvent (encore) sur le dattier contre des dattes (sèches, déjà récoltées).

(Hadith authentique, cité également dans le Sahîh Mouslim)


عَنْ عَبْدِ اللَّهِ بْنِ يَزِيدَ أَنَّ زَيْدًا أَبَا عَيَّاشٍ سَأَلَ سَعْدًا عَنِ الْبَيْضَاءِ بِالسُّلْتِ فَقَالَ أَيُّهُمَا أَفْضَلُ قَالَ الْبَيْضَاءُ. فَنَهَى عَنْ ذَلِكَ. وَقَالَ سَعْدٌ سَمِعْتُ رَسُولَ اللَّهِ -صلى الله عليه وسلم- يُسْأَلُ عَنِ اشْتِرَاءِ التَّمْرِ بِالرُّطَبِ فَقَالَ لِمَنْ حَوْلَهُ « أَيَنْقُصُ الرُّطَبُ إِذَا يَبِسَ ». قَالُوا نَعَمْ. فَنَهَى عَنْ ذَلِكَ

عَنْ زَيْدٍ أَبِى عَيَّاشٍ قَالَ سَأَلْنَا سَعْدًا فَذَكَرَ نَحْوَهُ قَالَ أَبُو عِيسَى هَذَا حَدِيثٌ حَسَنٌ صَحِيحٌ

Traduction explicative

Zayd Abâ ‘Ayyâch (rahimahoullâh) questionna Sa’d (radhia Allâhou anhou) au sujet (du troc) de l’orge appelée baydhâ contre l’orge appelée soult. Il (radhia Allahou ‘anhou) demanda : « Laquelle est (de) meilleure (qualité) ? » Il (Zayd) répondit : « C’est l’orge baydhâ. » Il (radhia Allahou ‘anhou) condamna alors ceci (c’est-à-dire cet échange). Et Sa’d (radhia Allahou ‘anhou) ajouta : J’ai entendu le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) être questionné au sujet de l’acquisition de dattes sèches contre des dattes fraîches… Il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) demanda à ceux qui étaient autour de lui : « Est-ce que les dattes fraîches diminuent (en volume) en séchant ? » Ils répondirent : « Oui. » Il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) condamna alors ceci.

(Hadith dont l’authenticité pose problème selon l’Imâm Abou Hanîfah (rahimahoullâh), mais qui a été validé par d’autres savants)


Commentaires

« le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) a interdit la mouhâqalah et la mouzâbanah »

Les savants musulmans s’accordent pour considérer que ces deux types de troc ne sont pas autorisés[1] : les contreparties étant des biens ribawis (susceptibles de faire l’objet de ribâ) [2] de même nature, il est en effet nécessaire qu’il y ait une parfaite équivalence entre leur quantité respective; une quelconque différence à ce niveau est considérée comme du ribâ (interêt), comme l’indique clairement le Hadith suivant du Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) rapporté par Abou Saïd Al Khoudriy (radhia Allahou ‘anhou) :

الذَّهَبُ بِالذَّهَبِ وَالْفِضَّةُ بِالْفِضَّةِ وَالْبُرُّ بِالْبُرِّ وَالشَّعِيرُ بِالشَّعِيرِ وَالتَّمْرُ بِالتَّمْرِ وَالْمِلْحُ بِالْمِلْحِ مِثْلًا بِمِثْلٍ يَدًا بِيَدٍ فَمَنْ زَادَ أَوْ اسْتَزَادَ فَقَدْ أَرْبَى الْآخِذُ وَالْمُعْطِي فِيهِ سَوَاءٌ

« De l’or contre de l’or, de l’argent contre de l’argent, du blé contre du blé, de l’orge contre de l’orge, des dattes (sèches) contre des dattes (sèches), du sel contre du sel : (vous ne pouvez les échanger qu’à quantité) égale contre (quantité) égale (et) main à main. Celui qui donne un surplus ou qui prend un surplus tombe dans le ribâ : celui qui prend et celui qui donne sont pareils à ce sujet. »

(Sahîh Mouslim)

Et dans le cas de la mouhâqalah et de la mouzâbanah justement, la mesure ou le poids de ce qui n’a pas encore été récolté/cueilli n’est évalué que de façon approximative : l’exigence de parfaite équivalence dans l’échange ne peut donc être respectée, avec le risque de ribâ que cela implique.[3]

« J’ai entendu le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) être questionné au sujet de l’acquisition de dattes sèches contre des dattes fraîches… »

La majorité des oulémas (les châféïtes, hambalites et mâlékites, ainsi que, parmi les hanafites, les deux élèves de l’Imâm Abou Hanîfah (rahimahoullâh), Abou Youssouf (rahimahoullâh) et Mouhammad Ach Chaybâni (rahimahoullâh)) se basent sur la réponse négative apportée par le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) à la présente question pour considérer qu’il n’est en aucun cas permis d’échanger des dattes fraîches contre des dattes sèches. Cette interdiction indique, selon eux, que l’équivalence dans le troc de dattes contre dattes est requise lorsque celles-ci sont sèches. [4]

L’Imâm Abou Hanîfah (rahimahoullâh) est lui d’avis que, à partir du moment où il y a équivalence de poids au moment de la transaction entre les dattes fraiches et les dattes sèches, l’échange est autorisé. [5] Il (rahimahoullâh) se base à ce sujet sur le Hadith rapporté par ‘Oubâdah Ibnous Sâmit (radhia Allahou ‘anhou) qui énonce :

الذَّهَبُ بِالذَّهَبِ وَالْفِضَّةُ بِالْفِضَّةِ وَالْبُرُّ بِالْبُرِّ وَالشَّعِيرُ بِالشَّعِيرِ وَالتَّمْرُ بِالتَّمْرِ وَالْمِلْحُ بِالْمِلْحِ مِثْلاً بِمِثْلٍ سَوَاءً بِسَوَاءٍ يَدًا بِيَدٍ فَإِذَا اخْتَلَفَتْ هَذِهِ الأَصْنَافُ فَبِيعُوا كَيْفَ شِئْتُمْ إِذَا كَانَ يَدًا بِيَدٍ

« De l’or contre de l’or, de l’argent contre de l’argent, du blé contre du blé, de l’orge contre de l’orge, des dattes (sèches) contre des dattes (sèches) et du sel contre du sel : (vous ne pouvez les échanger qu’) équivalent contre équivalent, (quantité) égale contre (quantité) égale (et) main à main. Et lorsque les catégories (de biens échangés) sont différentes, alors vendez-les comme vous le voulez pour peu que ce soit (de) main à main. »

(Sahîh Mouslim)

L’Imâm (rahimahoullâh) souligne en effet que :

  • soit on considère que les dattes fraîches et les dattes sèches font partie de la même catégorie de produits, auquel cas la permission de leur troc est établie à partir du propos suivant : « (vous pouvez les échanger à) quantité égale contre quantité égale (et) main à main. »

  • soit on considère qu’elles ne font pas partie de la même catégorie de produits, auquel cas la permission de leur troc est établie à partir du propos suivant : « Et lorsque les catégories (de biens échangés) sont différentes, alors vendez-les comme vous le voulez pour peu que ce soit (de) main à main. »

Pour ce qui est du Hadith cité par l’Imâm Tirmidhi (rahimahoullâh) et sur lequel repose l’opinion de la majorité des oulémas, l’Imâm Abou Hanîfah (rahimahoullâh) est d’avis que son authenticité pose problème : sa chaîne de transmission contient en effet un narrateur, Zayd Abâ ‘Ayyâch (rahimahoullâh), dont la condition de fiabilité est inconnue (madjhoûl) selon lui.[6]

Et même dans le cas où la validité de ce rapport serait établi, des hanafites avancent l’hypothèse que ces propos du Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) concernent :

  • l’échange non simultané de dattes fraîches contre dattes sèches. D’ailleurs, dans l’énoncé d’une des versions du Hadith rapporté par Sa’d (radhia Allahou ‘anhou) (et citée dans les Sounan de Abou Dâoûd), il est dit que :

نَهَى رَسُولُ اللَّهِ -صلى الله عليه وسلم- عَنْ بَيْعِ الرُّطَبِ بِالتَّمْرِ نَسِيئَةً

« Le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) a interdit la vente de dattes fraîches contre des dattes sèches à crédit. »[7]

  • l’échange de dattes sèches déjà cueillies contre des dattes fraîches qui se trouvent encore sur l’arbre. [8]


Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !


[1] Selon la majorité des oulémas (les hambalites, mâlékites et châféïtes), ces  transactions sont nulles (bâtil). Pour les hanafites, elles sont considérées comme étant altérées (fâsid).

[2] Selon les hanafites, est susceptible de faire l’objet de ribâ al fadhl la transaction effectuée entre :

  • biens de même nature (comme l’échange de sel contre du sel)

  • bien qui s’échangent au poids (comme l’or et l’argent) ou à la mesure (comme les dattes, le blé, etc…)

Selon l’avis qui semble faire autorité chez les hambalites, sont considérés comme biens ribawis ce qui s’échange au poids ou à la mesure.

Selon les châféïtes (et c’est également là un autre avis hambalite), sont considérés comme biens ribawis ce qui sert essentiellement de monnaie (comme l’or et l’argent) ainsi que ce qui sert d’aliment (comme les dattes, le blé, etc.).

Et selon l’avis le plus connu des mâlékites, les causes pouvant être à l’origine du ribâ sont au nombre de deux : le premier, c’est l’aptitude d’une chose à servir d’instrument de paiement (thamaniyah) et le second, c’est le fait qu’une chose soit un aliment pouvant être stocké (al iqtiyât wal id-dikhâr). Moufti Taqi Outhmâni souligne, dans un de ses ouvrages, que c’est cette opinion qui semble être la plus fondée.

Réf : « Takmilah Fath il Moulhim », « Al Mawsoûat oul Fiqhiyah » – Volume 22 / Pages 64 et suivantes et « Al Fiqh oul Islâmiy » – Volume 5 / Page 360

[3] Voir « Al Mawsoûat oul Fiqhiyah » – Volume 9 / Pages 138 à 140

[4] Réf : « Al Mawsoûat oul Fiqhiyah » – Volume 9 / Page 183

[5] Il est à noter que c’est son opinion qui a été retenue sur cette question par les ouvrages de référence du fiqh hanafite (al moutoûn).

[6] D’autres savants ont également émis des réserves au sujet de la fiabilité de ce narrateur. Pour plus de détails, voir « I’lâ ous Sounan » – Volume 13 / Pages 6219 et 6220

[7] Réf : « I’lâ ous Sounan » – Volume 13 / Page 6220

[8] L’ensemble de l’argumentaire de l’Imâm Abou Hanîfah (rahimahoullâh) sur cette question a fait l’objet de sévères critiques, notamment de Ibnou Hazm (rahimahoullâh). Pour une analyse détaillée de ces critiques et des tentatives de réponses aux diverses objection émises, lire « I’lâ ous Sounan » – Volume 13 / Pages 6218 à 6236