Rôle et fonctionnement du Sharia Board

S’il y a un bien un acteur qui est omniprésent dans le domaine de la finance islamique, c’est le sharia board (appelé en français Comité de Conformité Sharia – CCS) : les différentes responsabilités qui incombent à ce comité composé de sharia scholars lui confèrent un rôle clé et fondamental dans ce secteur en plein essor. Mais avant d’évoquer en détail celui-ci, il est important de rappeler ce qu’est un sharia scholar.

Le sharia scholar : un expert aux compétences particulières…

Le terme arabe « sharia » désigne pour le croyant et la croyante cette voie qui est balisée par les sources premières de l’islam et qui leur permet de cheminer sereinement dans ce monde vers l’agrément de Leur Créateur.

Dans son acception première, la sharia consiste en un riche ensemble composé de croyances, de spiritualité et de règles de droit : ses fondements et principes, exprimés à travers la Parole de Dieu (Coran) et l’enseignement du Prophète Mouhammad (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) (Sounna), éclairent le croyant et la croyante sur la façon doit ils doivent concevoir leur rapport avec Dieu et ceux qui les entourent. La sharia, c’est donc l’islam dans sa globalité : c’est ce qu’il enseigne comme doctrines et actes de culte, mais aussi comme principes spirituels, comme valeurs morales et éthiques, en un mot, comme façon d’agir et de se conduire dans l’ensemble des domaines de la vie quotidienne… Littéralement, l’appellation sharia scholar désigne ainsi tout savant musulman qui a une connaissance approfondie des sources de la sharia.

Dans le domaine de la finance islamique cependant, l’usage de ce titre se fait de façon plus restreint : n’est qualifié de la sorte que le théologien qui, en sus de son érudition concernant les sources musulmanes et les fondements du droit islamique, possède une excellente maitrise du fiqh oul mouâmalât (jurisprudence des affaires) et des connaissances dans le domaine de la finance conventionnelle.

L’exercice de sa double compétence,  imprégné par sa foi en Dieu et la conscience qui l’anime d’avoir à répondre un jour devant Son Maître de chacun de ses faits et gestes, lui permet de pouvoir analyser consciencieusement le caractère sharia compatible des produits financiers et des contrats qui sont soumis à son expertise. Il est en effet évident que, tout comme l’accès direct aux énoncés des différents codes composant la législation française ne suffit pas pour faire d’un individu un expert du droit capable de conseiller et d’assister des citoyens en justice, la simple consultation des normes imposées dans la finance islamique ne peut en aucune façon suffire pour l’analyse et l’audit de sharia compatibilité d’un produit….

Le sharia board : rôle et fonctionnement…

Dans la pratique, le sharia scholar n’intervient pas seul : il est associé à d’autres collègues au sein d’un groupe de travail appelé sharia board (ou Comité de Conformité Sharia – CCS).

Ce comité de conformité, composé de trois sharia scholars au moins, est totalement indépendant dans ses prises de décision des instances dirigeantes de l’établissement pour lequel il exerce. Les résolutions qu’il adopte, que ce soit à la majorité ou à l’unanimité (suivant le mode opératoire retenu), doivent nécessairement être respectées et appliquées par l’organisme financier.

Le sharia board a pour principales missions :

  • de conseiller et d’assister les institutions qui désirent réaliser des opérations de finance islamique dans l’élaboration des contrats et des produits qui soient en conformité avec les principes du droit musulman.
  • d’analyser la documentation légale et les caractéristiques des produits sharia compatibles élaborés par les équipes de développement des établissements financiers pour s’assurer notamment qu’ils respectent, entre autres :
  • les impératifs d’honnêteté, d’intégrité et d’équité (à travers le juste partage des risques notamment) entre les différentes parties,
  • l’interdiction de l’abus, de la tromperie et du mensonge,
  • l‘interdiction de contribuer directement à des opérations illicites dans la sharia (comme l’investissement dans une société qui a pour activité principale la production d’alcool par exemple)
  • l’interdiction de l’intérêt,
  • la nécessaire absence d’incertitude importante et d’aléa majeur au niveau des contreparties, etc.
  • d’émettre son avis (Fatwa) de sharia compatibilité au terme des échanges avec les responsables de l’institution financière, lorsque les éventuelles modifications requises dans la structuration des produits ou autre ont été apportées.
  • de procéder à l’audit régulier des produits sharia compatibles pendant leur durée de vie afin de s’assurer que, dans la pratique, les normes imposées pour la validité et le caractère licite de chacune des opérations réalisées sont effectivement respectées. En effet, il suffit parfois d’une modification mineure dans le déroulement des différentes phases composant une transaction pour rendre celle-ci caduque : dans le cadre d’une Mourâbaha par exemple, où le financeur achète un bien sur demande de son client pour le lui revendre avec une marge bénéficiaire déterminée (ce montage constitue une alternative tolérée[1] au crédit à la consommation), si la marchandise acquise est revendue avant que l’intermédiaire en prenne possession (directement ou par le biais d’un agent), c’est l’ensemble de l’opération qui n’est plus sharia compatible.
  • d’adopter les mesures requises en cas de non respect avéré des conditions imposées dans la mise en application d’un produit au sujet desquels un avis de sharia compatibilité a été émis.
  • de purifier les retours d’investissements sharia compatibles en y retranchant la part éventuelle de revenus résultant d’opérations illicites réalisées de façon secondaire pour l’offrir à une cause charitable. C’est le cas notamment des dividendes provenant de sociétés dont l’activité principale est licite mais dont une petite part du chiffre d’affaire provient de placements à intérêts.
  • de réaliser des rapports annuels afin de confirmer le caractère sharia compatible des opérations réalisées par les institutions financières. Le choix de s’orienter vers les outils de la finance islamique résultant la plupart du temps de considérations religieuses, morales et spirituelles, ces rapports sont déterminants pour rassurer les investisseurs et clients musulmans.

Et demain ?…

Avec l’évolution de la finance islamique, le champs d’action du sharia board sera probablement amené à s’étendre… Plusieurs défis se profilent déjà à l’horizon pour les sharia scholars. En témoignent les voix qui s’élèvent aujourd’hui de part et d’autre pour réclamer notamment que :

  • dans leur avis de sharia compatibilité, en sus de la nécessaire vérification des caractéristiques des produits pour s’assurer de leur concordance avec les grands principes du droit musulman, les experts accordent aussi une plus grande attention à leur éventuel impact négatif au niveau éthique. Concrètement, il s’agirait par exemple de condamner totalement pour un musulman l’actionnariat dans une société dont l’activité principale est, en soi, licite mais qui, au vu et au su de tous, se montre coupable de graves dérives envers son personnel, les consommateurs, la société ou l’environnement.
  • un effort particulier soit mené pour le remplacement des pratiques de financement comme la Mourâbaha par des opérations permettant réellement à l’esprit de la finance islamique de se manifester, comme le recours à des outils faisant appel à un partenariat équitable, avec partage de risques et de profits.
  • avant le lancement d’un nouveau produit ayant pour but de répliquer un mécanisme sophistiqué de la finance conventionnelle mais dont le caractère sharia compatible est controversé, un examen approfondi soit mené concernant les conséquences négatives que celui-ci pourrait entraîner avec sa diffusion à grande échelle.

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !


[1] Le caractère licite de la Mourabaha employé comme moyen de financement fait l’objet de critiques de la part de certains savants musulmans ; c’est la raison pour laquelle les sharia scholars contemporains soulignent que le recours à cet outil ne doit constituer qu’une mesure transitoire afin de proposer aux consommateurs musulmans une alternative immédiate aux crédits conventionnels.