Le contrat de vente en viager est-il autorisé en droit musulman ?

Question : J’ai une excellente opportunité d’achat d’un bien immobilier… mais le vendeur me propose une vente en viager. Est-ce autorisé en islam ?

Réponse : Le contrat de rente viagère est une convention par laquelle le propriétaire d’un bien immobilier (appelé « créditrentier ») cède ce dernier à un tiers (appelé « débirentier ») pour un prix :

  • payable en partie le jour de la signature (le « bouquet »)
  • payable pour le reste sous la forme d’une rente périodique versée jusqu’à la mort du créditretier

Il s’agit d’un contrat aléatoire, comme l’indiquait clairement l’ancien article 1964 du Code Civil (abrogé par l’Ordonnance du 10 février 2016). En droit français, ses conditions de validité et ses effets entre les parties sont fixés par les articles 1968 à 1983 du Code Civil.

Habituellement, la vente est assortie d’une disposition prévoyant que le crédirentier continue à vivre dans le bien jusqu’à son décès : on parle alors de « viager occupé ». Mais il peut aussi arriver que le débitrentier ait la possibilité d’accéder au bien immédiatement après la vente : il s’agit alors de « viager libre ».

En droit musulman, le contrat de vente de rente viagère, qu’il s’agisse de « viager libre » ou de « viager occupé » n’est pas autorisé étant donné que, au moment de sa formation, le prix final du bien immobilier n’est pas connu des parties : il s’agit donc d’une forme de « bay’ al gharar » (vente affectée par un flou important au niveau des contreparties échangées ou présentant, en soi, un caractère aléatoire) [1], qui a été explicitement interdit par le Prophète Mouhammad (sallallâhou ‘alayhi wa sallam).  

(Sens d’un Hadith rapporté par Abou Houreïrah (radhia Allâhou ‘anhou) et cité notamment dans le « Sahîh Mouslim »)[2]

Et dans le cas du « viager occupé », il y a un autre problème qui se pose : celui-ci concerne le fait d’intégrer dans le contrat de vente une disposition permettant au vendeur de continuer à tirer profit du bien cédé pendant une durée indéterminée et inconnue des parties :[3] il s’agit là en effet d’une condition qui s’oppose à l’interdiction du contrat dit d’« ath thounyâ » (vente affectée par une exclusion dont la portée est inconnue) énoncée par le Prophète Mouhammad (sallallâhou ‘alayhi wa sallam).

(Sens d’un Hadith rapporté par Djâbir (radhia Allâhou ‘anhou) et cité dans les « Sounan at Tirmidhi »)[4]

Wa Allâhou A’lam !


[1] Pour plus de détails sur le « bay’ al gharar » et son interdiction, lire cet article : https://www.finance-muslim.com/2009/06/vente-hasardeuse

[2] « Fiqh al Bouyoû’ » v. 1, p. 423-424

[3] Il est à noter que la licéité d’une disposition permettant au vendeur de tirer profit du bien cédé pendant une durée déterminée et connue des parties fait l’objet de débats entre les savants musulmans : certains d’entre eux l’autorisent sous certaines conditions, tandis que d’autres l’interdisent.

[4] Avis juridique n° 220837 émis par le centre de Fatâwa de islamweb.net, « Taqrîr at Tirmidhi » v. 1, p. 219, « Touhfat al Ahwadhi » v. 4, p. 426