Placer son argent dans un fonds euros : licite ou non ?

Question : Je souhaite souscrire à un produit d’épargne (un contrat d’assurance-vie pour être précis) où, pendant une durée limitée, mon argent devra être placé dans un fonds euros garanti qui comprend des obligations.  Néanmoins, l’intégralité des intérêts générés à partir de mon argent pendant cette durée limitée sera distribuée en aumône. Ce placement temporaire (qui, je le rappelle, ne me rapporte rien) pose-t-il un quelconque problème selon les règles du droit musulman ?

 

Réponse : Avant de répondre à votre question, il est important de rappeler trois points :

1) Le fait de s’engager dans une opération générant des intérêts (ribâ) constitue un péché majeur d’une gravité particulière en islam. Il est rapporté du Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) qu’il a dit:

« Le (péché du) ribâ (intérêt) se divise en soixante-dix catégories, la moins grave d’entre elles (étant comparable) au fait, pour un homme, d’avoir des rapports intimes avec sa mère. »

(Sounan Ibn Mâdja – Authentifié par Al Albâni)

Voici par ailleurs ce qu’on peut lire dans le Qour’aane :

« Ô vous qui croyez ! Craignez votre Seigneur et renoncez à tout reliquat d’intérêt (ribâ), si vous êtes croyants. Et si vous ne le faites pas, recevez l’annonce d’une guerre de la part de Dieu et de Son Prophète. (…) »

(Sourate 2/ Versets 278-279)

Il est à noter que l’interdiction du ribâ a, en islam, une portée générale : elle s’applique quelle que soit la durée de vie de l’opération contractuelle et quel que soit le montant d’intérêts généré.[1]


2) En droit musulman, il n’est pas seulement interdit au musulman de prendre ou de donner des intérêts. Toute forme de contribution directe et délibérée[2] dans la mise en œuvre d’une opération contractuelle générant des intérêts (ribâ) est sévèrement condamnée, comme l’indique clairement la Tradition authentique suivante, rapportée par Abdoullâh Ibnou Mas’oûd (radhia Allahou ‘anhou):


« Le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) a maudit celui qui se nourrit du ribâ, celui qui en donne à consommer, les deux témoins (de la transaction) ainsi que celui qui rédige (celle-ci et met ainsi la transaction à l’écrit). »[3]

(Sahîh Mouslim et Sounan out Tirmidhi)

Ainsi, le fait que la personne concernée ne perçoive rien des intérêts générés n’a pas d’incidence sur l’interdiction : en témoigne le fait que la malédiction prophétique englobe aussi le scribe et les témoins de l’opération.

L’illustre savant châféïte Ibnou Hadjar (rahimahoullâh) écrit :

«(La malédiction énoncée par le Prophète Mouhammad (sallallâhou ‘alayhi wa sallam)) s’applique à celui qui a soutenu et approuvé celui qui a conclu la transaction du ribâ. (…) Est donc concerné par cet avertissement celui qui a aidé le contractant du ribâ par sa consignation et son témoignage (…). »[4]

 

3) Les savants musulmans contemporains s’accordent pour considérer qu’il est strictement interdit au musulman d’émettre ou d’acheter des obligations conventionnelles générant des intérêts. Cette interdiction formelle est rappelée notamment par l’AAOIFI (cf. articles 4 et 5 de la norme n°21, traitant des titres financiers).

Pour en venir à votre question, il ressort des éléments sus-cités qu’il ne vous est pas permis de placer votre argent, même de façon temporaire, dans un fonds qui comprend des obligations (comme c’est le cas justement des fonds euros garantis, qui constituent les supports historiques des contrats d’assurance vie en France) (cf. point n°1 et n°3), et ce, même si vous ne percevez pas les intérêts générés et que ces derniers sont distribués en aumône (cf. point n°2).

Pour conclure, je me permets d’attirer votre attention sur deux points supplémentaires :

  • il existe des fonds sécurisés qui sont constitués d’éléments conformes aux impératifs du droit musulman (qui sont donc sharia compatibles) et qui répondent aussi aux exigences règlementaires en matière de garantie; ce genre de supports peut constituer une alternative licite au fonds euros qui vous a été proposé et qui est donc, lui, illicite en droit musulman.

 

  • les contrats d’assurance-vie qui sont proposés habituellement présentent un certain nombre de dispositions (en sus de celle faisant l’objet de votre question) qui ne sont pas conformes aux règles du droit musulman. Avant de vous engager sur un contrat de ce type, il vous faut donc vous assurer de sa totale licéité en islam.

 

Wa Allâhou A’lam !

 


[1] Pour un exposé détaillé sur ce point, voir « Historic Judgement on Interest – Delivered in the supreme court of Pakistan » de Sheikh Taqi Uthmâni

[2] Sauf cas de nécessité ou de besoin généralisé reconnus comme tels à la lumières des sources du droit musulman et dans les limites de la nécessité; et, en l’espèce, de telles situations d’exception ne sont pas avérées en raison notamment de l’existence d’alternatives licites, comme cela est détaillé à la fin de la réponse

[3] Dans une autre version de ce Hadith présent dans le Sahîh Mouslim, il est stipulé que, par leur action respective, tous les individus cités par le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) s’exposent de la même façon au péché.

[4] Réf : « Fath oul Bâriy » – Volume 4 / Page 314