Compte rémunéré ou non rémunéré ?

Question : Est-il permis à un musulman de placer son argent sur un compte bancaire rémunéré (compte épargne ou livret A par exemple) dans le but de reverser les intérêts ainsi perçus pour soutenir une cause noble (financement de projets humanitaires ou construction de mosquée par exemple) ?

Réponse : Il existe un avis contemporain qui encourage les musulmans qui ne peuvent avoir recours à des institutions bancaires dont les produits sont conformes aux impératifs du droit musulman de placer leur argent sur des comptes rémunérés dans des établissements conventionnels pour pouvoir ensuite reverser les intérêts perçus en vue de soutenir des projets louables. Selon les tenants de cet avis, à partir du moment où le simple fait de placer son argent dans une banque conventionnelle contribue à renforcer ses opérations et se révèle donc bénéfique à celle-ci dans tous les cas (que l’argent soit placé sur un compte courant ou un compte rémunéré), il serait pertinent que le musulman s’efforce de tirer lui aussi profit de cette situation qu’il ne peut éviter : ainsi, il serait plus judicieux qu’il garde son argent sur un compte rémunéré, les montants ainsi perçus en retour de la part de la banque pouvant être employés pour contribuer à des opérations bénéfiques à autrui. En quelque sorte, il s’agirait d’appliquer ici le principe bien connu du choix du moindre mal (« akhaff adh dhararayn« ).

 

Il est important de souligner cependant que bon nombre de savants contemporains (parmi lesquels on trouve Sheikh Taqi Uthmâni, Sheikh Qaradawi, Sheikh Mouhammad Sâlih Al Munadjid, Sheikh Abdoullah Al Faqîh, pour ne citer qu’eux) ne partagent pas cet avis. La position de ces savants sur cette problématique pourrait être synthétisée en l’énoncé d’un principe, d’une exception et d’une limite posée à ladite exception :

1.       En principe, il n’est pas permis à un musulman de conserver son argent dans un établissement bancaire conventionnel étant donné que cela implique une forme de contribution dans les opérations illicites réalisées par ledit établissement.

2.       Dans le cas où un musulman vivrait à un endroit où il n’existe pas d’institutions bancaires proposant des produits répondant aux impératifs du droit musulman et qu’il ne disposerait ainsi pas de moyen pour protéger et gérer efficacement son argent autre que celui de le conserver dans une banque conventionnelle, la condamnation de principe énoncée ci-dessus est écartée : en raison de sa situation particulière (hâdjah), il est possible à un tel musulman d’avoir recours aux services proposés par les établissement bancaires conventionnels.

3.       Néanmoins, en vertu du principe selon lequel ce qui est toléré de façon exceptionnelle (c’est-à-dire en raison d’un facteur dérogatoire) doit être limité à ce qui est strictement requis (« adh dharoûrah toutaqad-dar biqadr idh dharoûrah« ), un musulman qui serait dans la situation décrite ci-dessus ne pourrait placer son argent que sur des comptes courants et non sur des comptes rémunérés. En effet, selon l’avis le plus probant des jurisconsultes musulmans contemporains, les sommes qui sont placés sur les comptes bancaires (courants ou rémunérés) sont assimilées selon les règles du droit musulman à des « qouroûdh » (prêts) octroyés aux institutions concernées. Ainsi, la rémunération qui est contractuellement servie aux détenteurs des sommes placées dans les comptes bancaires conventionnels constitue du ribâ. Et il est évident que, à partir du moment où le besoin exposé plus haut (disposer d’un moyen de protection et de gestion efficace de son argent) peut être satisfait par l’ouverture d’un compte courant  non rémunéré qui n’induit pas d’implication directe dans des opérations ribawi, le recours à un compte rémunéré qui induit au contraire une implication contractuelle directe dans la production de ribâ ne peut être autorisé.  Et celui qui fait le choix d’ouvrir un compte produisant des intérêts dans un établissement conventionnel s’expose à ce qui a été rapporté par Ibnou Mas’oûd (radhia Allâhou anhou) :

عَنْ ابْنِ مَسْعُودٍ قَالَ لَعَنَ رَسُولُ اللَّهِ صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ آكِلَ الرِّبَا وَمُؤْكِلَهُ وَشَاهِدَيْهِ وَكَاتِبَهُ

« Le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) a maudit celui qui se nourrit du ribâ, celui qui en donne à consommer, les deux témoins (de la transaction) ainsi que celui qui rédige (celle-ci à l’écrit). »

 

(Hadith authentique, présent également dans le Sahîh Mouslim)

 

Il est à noter que pour qu’une telle implication directe dans une opération ribawi puisse être tolérée selon les règles du droit musulman, il faudrait que celle-ci soit justifiée à son tour par un facteur dérogatoire comme la contrainte (al ikrâh), la nécessité (al idhtirâr) ou le besoin généralisé (al hâdjah ‘âmmah). En l’espèce, la présence d’un tel facteur dérogatoire ne semble pas avérée.

Pour ce qui est de l’argumentaire avancé par les tenants du premier avis, il ne nous semble pas probant. En effet :

 

–          d’un côté, il y a la possibilité pour le musulman de répondre à un besoin réel (protection de son argent avec facilité de gestion) en ayant recours à un produit (compte courant non rémunéré) qui, en soi, ne viole pas directement un interdit divin, même s’il présente certains aspects négatifs (renforcement indirect des opérations de la banque conventionnelle) ;

 

–          tandis que, de l’autre, il y a recours à un produit (compte rémunéré) qui, tout en présentant des aspects négatifs plus importants que le premier produit, permettrait d’aider une cause bénéfique mais au prix d’une transgression délibérée et directe d’une interdiction divine formelle (contribution déterminante dans un contrat ribawi)

 

En guise de conclusion, je tiens à citer un propos très pertinent de Sheikh Al Qaradâwi sur la problématique évoquée :

 

« Il est établi de façon unanime que l’intention n’a pas d’effet en ce qui concerne l’interdit; ainsi, la beauté de la niyyah et la noblesse de la volonté ne transformeront pas l’illicite en licite, et n’y enlèveront pas l’aspect blâmable et la souillure qui sont à la base de son interdiction. Celui qui prend de l’intérêt, qui vole un bien ou qui se l’approprie par n’importe quel autre moyen prohibé, et ce, dans l’intention de l’utiliser pour construire une mosquée, bâtir un orphelinat, édifier une medersa dédiée à la mémorisation du Qour’aane ou afin de faire aumône de ce bien harâm (illicite) aux pauvres et aux nécessiteux, ou encore dans n’importe quelle autre œuvre bénéfique, cette intention saine et pure n’aura aucun effet, et elle ne diminuera en rien pour lui le péché du harâm. Les Ahâdîth authentiques insistent en effet (sur le fait) que « Allah est Pur et Il n’accepte que le pur ». Et dans le Hadith de Ibnou Mas’oûd (radhia Allâhou anhou), il est dit : « Allah ne fait pas disparaître le mauvais par le mauvais, mais le mauvais par le bon; certes, une immondice n’en efface pas une autre. »(…)Ceci montre clairement qu’en Islam, la fin ne justifie pas les moyens… Pour la réalisation d’un objectif noble, seul un intermédiaire pur sera agréé. (…)  »

 

Wa Allâhou A’lam !

 

Et Dieu est Plus Savant !

 


Références :

  • « An Niyah wal Ikhlâss » de Sheikh Al Qaradâwi
  • « Fatâwa Mou’âsirah » de Sheikh Taqi Uthmâni
  • « Al Ma’âyîr ach Char’iyah » de l’AAOIFI
  • islamonline.com
  • islamweb.com
  • islamqa.com
  • daruliftaa.com
  • darululoomkhi.edu.pk